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TEXTES ESSENTIELS

Philosophie
 


 

 BAUDOUIN DE BODINAT
 

LA VIE SUR TERRE

Réflexions sur le peu d'avenir
que contient le temps où nous vivons


(Photo xxx

Ce petit ouvrage d'un auteur peu connu, encore très peu lu, représente une véritable bombe philosophique. C'est un texte essentiel, d'une intelligence extrême, écrit dans une langue magnifique, 
Ces "Réflexions sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes" ont paru aux Editions de l'Encyclopédie des nuisances. Il faut les lire absolument. Peut-être grâce à lui, une poignée d'hommes entreront en dissidence, quitteront le Titanic du mondialisme avant le naufrage, abandonneront la voie sans issue du progrès, gagneront le refuge des dernières forêts chères au "Rebelle" de Jünger, s'acclimateront dans les derniers déserts, refusant la barbarie absolue de la dictature économique et marchande qui envahit, enlaidit et abêtit notre planète.
Les intertitres sont de nous.
  «Voici ce que j'ai pensé:



Parmi les Proverbes de l'enfer de William Blake on trouve celui-ci que les désirs inassouvis engendrent la pestilence; pour cette raison qu'ils ne s'éteignent pas dans le confinement et l'obscurité, étant en nous la manifestation nécessaire de la vie sensible et de notre enthousiasme naturel; mais qu'ils fermentent et se corrompent à notre insu comme dans une cave malsaine; qu'ils se métamorphosent en leur contraire, se changeant en passivité et en faiblesse, ajoute Blake; et c'est seulement quand ils sont bien putréfiés dans, l'inassouvissement que l'économie s'offre à les satisfaire en leur proposant ses représentations, qui sont le moyen de son règne à la fois que la justification que lui fournissent ses consommateurs, en les acceptant.
S'il nous était loisible de faire l'anatomie des convoitises et des besoins, des jouissances et des satiétés qui nous attachent à cette société et nous la font trouver excellente, et de découvrir chaque fois sous ces figures flétries ou viciées la physionomie de ce qui en était le principe avant qu'il ne pourrisse ainsi, on, reconnaîtrait quelque chose qu'aucune marchandise ne saurait contenter et qui même en réclame expressément l'absence.

Les films en couleurs de la pornographie industrielle

Cela s'entend immédiatement si l'on en considère le type idéal que sont les films en couleurs de la pornographie industrielle : à quoi proposent-ils de s'assouvir sinon à l'inassouvissement lui-même, qui est la condition de leur utilité, le marché qu'ils reproduisent en le satisfaisant. On voit comment d'être ainsi exaucée cette misère morale en vient à se croire un désir positif ayant pour objet ces rêves dirigés sur écran et ne peut pas du tout songer à se connaître comme insatisfaction; et de quoi, en réalité. C'est exactement la manière dont les stupéfiants injectables se procurent leur clientèle. 
Il faut donc quand on s'ennuie conserver à l'esprit que toutes les marchandises présentées en résolution de notre impatience et de notre vacuité sont de cette façon, et souvent bien plus défigurées encore : qu'y avait-il avant, qui s'est transformé en un magnétoscope, un brunch entre amis, une carte de crédit, une séance de psychothérapie, un voyage d'une semaine en Birmanie? que c'est d'être séparé de soi- même et du monde sensible qui nous plonge dans l'ennui, dont les plaisirs et les distractions de cette société sont la cause toujours renouvelée: "Ils sentent qu'ils ne sont pas heureux et ils espèrent jours de le devenir par les moyens même qui les rendent misérables", s'étonne Fénelon quand il observe ces hommes enchantés par les faux plaisirs : "Ce qu'ils n'ont pas les afflige, ce qu'ils ont ne peut les remplir. Leurs douleurs sont véritables. Leurs joies sont courtes, vaines et empoisonnées. Elles leur coûtent plus qu'elles ne leur valent. Toute leur vie est une expérience sensible et continuelle de leur égarement, mais rien ne les ramène." Pour cela que ces viandes creuses ne sont bonnes qu'à reproduire les faux besoins qu'elles trompent, et d'abord celui du travail, cet ennuyeux malheur; qui ne peuvent être ainsi la rejouissance, et la nécessité que de la soumission; qui ne seraient pas le superflu de l'émancipation, mais l'objet de ses rires et de son incrédulité.
Anatole France trouvait étrange l'appétit de ses contemporains pour les nouveautés de la vie à l'américaine : "Ils sont aveugles et sourds aux miracles de cette poésie qui divinise la terre. Ils n'ont pas Virgile, et on les dit heureux, parce qu'ils ont des ascenseurs".

Les commodités de la vie moderne

Ce n'est pas mystérieux : la domination produit les hommes dont elle a besoin, c'est-à-dire qui aient besoin d'elle ; et toutes les prétendues commodités de la vie moderne, qui en font la gêne perpétuelle, s'expliquent assez par cette formule que l'économie flatte la faiblesse de l'homme pour faire de l'homme faible son consommateur, son obligé; son marché captif qui ne peut plus se passer d'elle : une fois les ressorts de sa nature humaine détendus ou faussés, il est incapable de désirer autre chose que les appareils qui représentent et sont à la place des facultés dont il a été privé. La fourniture lui en devient un droit imprescriptible et inaliénable : elles sont toutes ensemble la qualité de son être, dont la privation l'anéantirait sans aucun doute. Il n'y a aucune faculté qui puisse se conserver si elle ne s'exerce et toutes se tiennent et sont tellement subordonnées qu'on ne peut en limiter aucune sans que les autres ne s'en ressentent : l'homme affaibli ne peut pas imaginer autrement son existence pour la raison que ce sont désormais les images qu'on lui projette en livret d'accompagnement qui lui tiennent lieu d'imagination de la vie possible.
J'ai lu à ce propos la description d'un CD-Rom interactif pour les jeunes enfants quand ils ne regardent pas la télévision : il leur suffit de ÇcliquerÈ sur un détail de l'image affichée à l'écran et voici que s'en anime une autre petite histoire que la voix synthétique leur raconte, tout à fait comme l'imagination opérait autrefois; et aussi que des laboratoires travaillaient à mettre au point un ordinateur obéissant à la pensée (en coiffant une sorte de casque), dont il y a déjà un prototype avec des jeux vidéo ultra-rapides ; mais il est plus difficile de comprendre l'intérêt de cette recherche-là, étant donné que tout fonctionne parfaitement, et pour la satisfaction générale, à l'inverse.

L'homme sert de modèle animal 

Aussi ai-je eu cette pensée que s'il y avait le moyen de faire concevoir 1'émancipation de l'homme à un automobiliste - mais je ne vois pas comment - cela reviendrait à offrir à un plant de tomate en culture hydroponique de reprendre pied dans la vie énergique et changeante d'un potager en plein vent; ou à proposer à une vache clonée sans cornes et nourrie au soja le transfert dans une préhistoire grouillante de bêtes f éroces, où il lui faudrait brouter elle-même l'herbe qui pousse par terre. Et quand une étude scientifique démontre la prédilection des vaches industrielles pour l'élevage hors-sol et le distributeur de croquettes, il n'y a pas lieu d'en extraire de la science-fiction alarmiste, à l'évidence que c'est l'homme cette fois qui a servi utilement de modèle animal.

Le progrès des forces productives

On dit que le progrès des forces productives nous a débarrassés de toutes sortes d'inconforts du passé, et c'est exact, mais c'était pour installer les siens à la place, plus onéreux, plus compliqués et sujets aux pannes. Un escalier étant une chose simple et commode, il peut être beau et n'est jamais ennuyeux. L'économie le supprime en le déclarant fatigant, en disant qu'à ses yeux l'homme mérite un ascenseur; elle peut ensuite entasser celui-ci sur trente étages et lui vanter ce progrès sur les maisons basses de ses ancêtres, leurs châteaux éclairés à la bougie.
L'apologie des innovations se ramène invariablement à ces sophismes grossiers qui masquent le simple fait que l'économie ne peut offrir à satisfaire que les besoins dont elle est l'auteur : elle isole chacun dans une vie suffocante et inepte, et s'émerveille elle-même de devoir lui fournir ensuite tant d'accessoires : il y a effectivement un ascenseur pour atteindre le vingt-troisième étage et un congélateur pour y ranger la nourriture frigorifique; il y a effectîvement des progrès incroyables dans le traitement des allergies qui se multiplient; on propose au consommateur prostré dans sa tour d'habitation des câbles numériques débitant cent cinquante programmes de radiovision (au moyen de cette nouvelle décompression numérique) et des week-ends instantanés sous les tropiques, etc., et l'employé de bureau le soir peut lire Sade sous l'hallogène, etc.

La vie normale

Que chacun s'examine sans se faire grâce, suggère Bourdaloue dans son sermon Sur la fausse conscience.
"Entre ceux qui m'écoutent peut-être y en aura-t-il peu qui osent se porter témoignage que ce reproche ne les regarde pas."
Car ce n'est pas impunément qu'on mène une vie normale: elle est aussi normale que la prison industrielle qu'il faut avoir intériorisée physiologiquement pour la trouver normale: seule une imagination déjà atrophiée par la médiocrité et le confinement de cette vie totalitaire peut s'en satisfaire et avoir l'usage de ses accessoires, qui achèveront de dessécher tout à fait l'individu.
C'est pourquoi il est besoin de lui injecter de la vie artificielle à proportion qu'il s'adapte, et maintenant c'est une perfusion constante d'images en couleurs qui bougent et qui parlent afin qu'il ne s'aperçoive de rien; afin qu'il ne s'aperçoive pas que sa vie ne vit plus, qu'elle est devenue la fonction biologique dont la production totale a besoin pour prospérer, son tube digestif en quelque sorte.
La réification [rendre quelqu'un à l'état de chose, d'objet] devient à l'homme l'état naturel, normal : il ne se sent contraint par là qu'à être lui-même tel que la fourmilière collectiviste l'a produit et il n'y voit pas d'objection, au contraire : le diorama monotone des paysages du machinisme agricole s'accorde si aisement à la monotonie de la rapide autoroute qui les traverse que l'automobiliste figé à son volant en vient à ressentir une impression de plénitude, d'harmonie heureuse, d'accomplissement universel indépassable.

Messages subliminaux

  Toutes les marchandises émettent des messages subliminaux quand on les manipule sans faire attention et ce n'est pas impunément que l'on porte sur soi une carte bancaire : elle donne la mesure exacte du diamètre de la sphère de subjectivité à l'intérieur de quoi on est autorisé à se représenter sa vie, et à la vivre; aucune impression du dehors ne peut y entrer, ni aucune pensée s'en évader autrement que par ce guichet, c'est-à-dire aucune. 
Ce précieux morceau de plastique ne contient pas de l'argent, mais l'objectivation de l'être social de son "propriétaire", le jugement abstrait que la rationalité économique porte sur sa créature et à quoi celle-ci doit s'identifier: elle recevra en échange cette âme morte, cette subjectivité, ce fétiche qui lui permet d'entrer en rapport avec les autres marchandises et de les comprendre; et de devenir alors comme dans cette histoire fantastique de l'Etudiant de Prague, mais sans l'inconvénient: c'est au contraire d'être toujours suivi de son ombre qui serait embarrassant. Ne cherchons point hors de nous-même l'éclaircissement.

Ignorants de ce que nous sommes 

Nous consumons toute notre vie toujours ignorants de ce qui nous touche, avertit de son côté Bossuet dans son fameux sermon sur la mort; et non seulement de ce qui nous touche, mais encore de ce que nous sommes.
En effet la conscience de soi se trouve enfermée et isolée du monde extérieur par un système nerveux que les chocs et les excitations de la vie moderne ont transformé en appareil d'enregistrement en un assemblage de réflexes conditionnés.
Les seules sensations qui lui parviennent et sur quoi elle s'organise sont les stimuli de la vie mécanisée qu'elle en vient à confondre avec la vie vivante. Le téléphone sonne et on va répondre. On roule à cent soixante kilomètres à l'heure en écoutant les nocturnes de John Field.
On regarde la télévision en trouvant ça normal, et même marrant. Nous ne prêtons aucune attention à ce qui nous touche : si nous étions encore en mesure de comprendre ce qu'elles signifient, non seulement ce qu'elles nous disent en réalité, mais le fait même qu'il y en ait, les publicités qui sont partout nous épouvanteraient; et ce que nous sommes, il est malaisé de se le figurer autrement que par défaut, pour ainsi dire : le fait par exemple que d'entendre parler de greffes d'organes ne fasse pas dresser les cheveux sur la tête.
On se heurte partout aux écrans des ordinateurs qui font l'interface entre les hommes et l'objectivité abstraite de l'économie qui règne sur la Terre; les truchements par quoi elle leur parle directement; mais nous n'en éprouvons pas de claustrophobie. On ne voit pas le monde qui est dehors clochardisé, où ne fonctionnent que les infrastructures de l'économie: on vit à l'intérieur des images qu'elle nous fournit.
Et pour finir même les catastrophes en gros titres sont des stimulants pour les consommateurs, une promesse de levée des inhibitions; ils ne craignent au contraire que d'être privés de ces commotions qui leur font oublier qu'ils sont incapables de se souvenir d'eux-mêmes.

Voici ce que je lis dans le journal : 

Les radio-astronomes se plaignent que les téléphones portables parasitent leurs fréquences hertziennes quand ils veulent écouter les galaxies; et les astronomes optiques, excédés de pollution lumineuse, doivent s'en remettre à des télescopes embarques à bord de satellites. Je lis que les scientifiques du programme Search for extraterrestrial intelligence (qui branchent leurs décrypteurs sur des radiotélescopes en faisant l'hypothèse que s'il existe des civilisations extraterrestes on devrait en capter les bruits radio: radars, électroménager, jeux télévises, retransmissions sportives, etc.), que ces chercheurs avaient connu l'émotion d'intercepter, à la grande antenne du désert australien, des signaux artificiels réguliers sur la bande de 2,3 GHz; mais à la réflexion c'était le four à micro-ondes de la cafétéria de l'observatoire. Je lis aussi que les physiciens du CERN avaient dû constater le passage à heure fixe de particules imprévues, peut-être extraterrestres, dans les champs magnétiques de leur accélérateur souterrain. Finalement il suffisait de consulter le Chaix, c'était tous les jours le train subsonique entrant en gare de Genève. Et j'ai pensé que maintenant qu'il règne universellement, le rationalisme ne peut plus rien faire d'autre que de se vérifier lui-même. 

Voici encore ce que j'ai pensé : 

Que le processus de la domestication de l'homme par l'économie est si avancé qu'il peut désormais apparaître des modes, des snobismes, des avant-gardes de l'aliénation médicalisée : un nouvel antitumoral, un antidépresseur dernier cri, un antiviral en essais cliniques (très rare, par avion !), une pilule de jouvence pas encore homologuée, un anti-dégénératif cérébral dont parlent les journaux; c'est à qui sera le premier à pouvoir lancer un toast de fidélité : Prozac !


Ce livre est disponible en librairie. Editions de l'Encyclopédie des nuisances.
On peut le commander chez Ivrea.


 

Connaissez-vous Elisabeth Piotelat,
La Princesse des Étoiles?
Elle publie un fanzine passionnant
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Il faut absolument lire son dernier ouvrage:

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