2 - La France du Moyen Âge
jusqu'au XVIIIe siècle
Avant l'invention de l'imprimerie,
du papier et des développements industriels qui en résultèrent,
il n'existait qu'un nombre très limité de livres. Ils étaient
calligraphiés par des copistes descendant des scribes dont parlent
les Évangiles.
De ce fait, les écrits étaient
à la fois rares et coûteux, réservés au haut
clergé et aux cours royales et impériales, ainsi qu'aux lettrés
qui les fréquentaient.
Dans la grande masse des travailleurs
manuels, personne ne savait lire ou écrire. Cela ne servait qu'aux
intellectuels aimant lire ou écrire des ouvrages à caractère
philosophique ou religieux. Être illettré n'empêchait
pas d'oeuvrer dans le concret.
Certains intellectuels qui jugent
une époque à l'aune du développement des connaissances
abstraites parlent de "l'obscurantisme du Moyen Âge". Cela est devenu
une idée reçue qui rejaillit sur toute cette époque
considérée comme barbare.
Le domaine concret
Il est certain que les productions
de l'esprit dans une population à 99 % illettrée ne pouvaient
être abondantes. Par contre dans le domaine du concret, il en fut
tout autrement.
Labourer, semer, faucher, battre
les céréales, traire les vaches, construire une maison, fabriquer
des meubles, une voiture, un navire, ferrer un cheval, sans compter les
prolongements artistiques de l'artisanat, autant de travaux très
concrets qu'il nous faut examiner car ils permettent de mesurer le degré
de civilisation d'un peuple autant au moins que par ses productions littéraires
ou philosophiques.
Il est amusant de constater combien
la population actuelle ne cesse d'admirer ce qui reste des productions
concrètes de cette époque. Que ce soit les vieux quartiers
des villes où l'on admire la solidité et la beauté
de très anciennes demeures, que ce soit un pont, une fontaine, des
châteaux, des églises, des cathédrales, des meubles
que l'on s'arrache à prix d'or et bien d'autres choses. L'on feint
de croire que toutes ces merveilles ont été conçues
et dessinées par des artistes intellectuels et que les artisans
illettrés de l'époque n'étaient que des exécutants.
Manque d'énergie
La population française,
bien que la plus nombreuse en Europe n'atteignait pas vingt millions d'habitants.
L'absence d'énergie d'appoint - moteurs électriques, à
vapeur, à explosion - à l'exclusion de celles des chevaux
et des boeufs, la médiocre qualité et la faible quantité
des outils et instruments de travail auraient dû condamner les productions
artistiques et techniques à rester marginales.
Cette situation a duré jusqu'à
la fin du XVIIIe siècle durant lequel le développement de
l'imprimerie permit d'accroître les productions littéraires
et philosophiques ainsi que le nombre de leurs lecteurs. Cependant, les
productions de l'artisanat restaient du même type qu'au Moyen Âge
avec le même type de formation par l'apprentissage. Les paysans et
les artisans continuaient à être illettrés et à
s'autoformer.
Prouesses techniques et merveilles
artistiques
Les cathédrales furent les
oeuvres les plus spectaculaires du Moyen Âge. Prouesses techniques
et merveilles artistiques. Si l'on considère le peu de moyens dont
disposaient leurs bâtisseurs, elles ne peuvent que nous stupéfier.
Il n'existait pas à cette
époque d'écoles d'architecture et les maîtres d'oeuvre
des cathédrales furent soit le meilleur charpentier soit le meilleur
maçon de la région.
Ce maître d'oeuvre qui faisait
office d'architecte portait les insignes de son grade : la règle,
l'équerre, le compas, c'est-à-dire les instruments permettant
d'exécuter un plan. Dans le domaine du concret, le langage n'est
utilisé que pour accompagner l'exemple ou le dessin, lequel est
à la frontière du concret et de l'abstrait. L'aide du langage
est utile, mais pas indispensable.
Mieux vaut un petit croquis...
Napoléon disait qu'un petit
croquis vaut mieux qu'un long discours. Au Moyen Âge, le croquis,
le dessin, le plan étaient les instruments de la communication entre
le donneur d'ordre et celui qui le recevait. Au contraire du langage ou
de l'écrit qui n'est compris que par ceux qui parlent la même
langue, le dessin est universel. En outre il est précis, ne pouvant
donner lieu à interprétations au contraire d'une instruction
orale ou écrite.
Les compagnons
On peut noter qu'au Moyen Âge
chez tous les artisans et compagnons oeuvrant dans le concret, l'utilisation
du dessin pour communiquer permettait de travailler dans n'importe quel
pays, la barrière de la langue devenant secondaire.
C'est ainsi qu'Étienne de
Bonneuil se rendit en Suède à Uppsala avec dix compagnons
français de haut niveau pour y construire avec des Suédois
une cathédrale. On peut citer également des architectes (maîtres
d'oeuvre) comme Bernard le Vieux (Compostelle), Mathieu d'Arras (Prague),
Guillaume de Sens (Canterbury) qui travaillèrent aussi hors de leur
pays.
Inversement, des compagnons allemands
tailleurs de pierre participèrent à l'édification
de la cathédrale de Reims. L'architecte alsacien Niesenberger se
rendit à Milan avec treize compagnons de différents pays
pour élever la coupole de la cathédrale. La construction
de la cathédrale de Strasbourg fut dirigée par des maîtres
d'oeuvre allemands.
Des artisans illettrés au
savoir-faire exceptionnel
Sous la direction du meilleur d'entre
eux les artisans qui construisirent les cathédrales étaient
des illettrés possédant un extraordinaire savoir-faire. La
hiérarchie existante venait de la réussite professionnelle
et non de diplômes obtenus en fin d'études théoriques.
Édifier une immense cathédrale
avec des moyens dérisoires au milieu d'une petite ville aux maisons
basses représentait un projet qui comparativement dépasse
de loin en importance les plus grandes réalisations de notre siècle.
Cela suppose un incroyable optimisme de la part de ceux qui y participaient.
Certes, il y eut quelques échecs,
mais certainement pas plus que pour les fusées interplanétaires
conçues par les meilleurs ingénieurs de notre temps.
Peu de créateurs et beaucoup
d'exécutants
De nos jours, il existe peu de créateurs
et beaucoup d'exécutants dont les tâches répétitives
leur interdisent toute initiative.
Du Moyen Âge au XVIIIe siècle,
ce fut exactement le contraire. Si l'on prend pour exemple les meubles,
il existe actuellement un nombre limité de fabricants dont beaucoup
produisent en série des copies d'anciens. D'autres innovent mais
n'ont que peu de créateurs de nouveaux modèles et beaucoup
d'exécutants. Le profit étant l'obligatoire objectif, l'abaissement
du prix de revient polarise toutes les recherches.
Au Moyen Âge, le nombre de
menuisiers était considérable et chacun d'eux était
maître de son ouvrage. Tout se faisait à la main et chaque
compagnon avait un grand savoir-faire. La production concrète était
presque le seul moyen d'exprimer son sens artistique. Cela explique l'étonnante
abondance de réalisations de tous ordres que tous nous admirons.
Nous travaillons pour la poubelle
Les vingt millions de Français
du Moyen Âge étaient beaucoup plus productifs en biens durables,
pratiques et d'une grande beauté que les soixante millions vivant
de nos jours. Pourquoi ? Parce qu'au Moyen Âge on produisait pour
l'éternité alors que de nos jours, on travaille pour la poubelle.
Tout doit être jeté, d'abord tous les emballages si rutilants
et pratiques, ensuite les objets dont la technologie est vite dépassée,
enfin tout ce que nous achetons pour être à la mode, laquelle
change chaque année. Rien n'est plus laid que ce qui est démodé.
A la poubelle !
Au Moyen Âge, on produisait
mille fois moins mais l'objet bien entretenu devait durer, jusqu'à
la nuit des temps et sa beauté était éternelle.
De nos jours les biens abstraits,
dits culturels offerts par les journaux, magazines, radios, télévisions,
internet, sont si abondants que sitôt lus ou vus ils sont oubliés.
Ce qu'on appelle progrès
Ce qu'on appelle le progrès,
c'est la libre adoption par la population d'innovations, d'inventions qui
sont par définition imprévisibles.
Personne ne sait les conséquences
sur lui-même, sur sa famille, sur ses descendants ou sur ses concitoyens
de l'adoption d'une innovation. C'est ainsi que la paysannerie est passée
de 95 % à 3 % de la population uniquement par sa libre adoption
d'innovations qui ont provoqué une surproduction fatale accompagnée
d'une tragique suppression de main-d'oeuvre. La paysannerie s'est autodétruite
alors qu'elle croyait que le progrès technologique lui donnerait
une vie meilleure.
Des artisans ont inventé
l'imprimerie et sa mise en oeuvre. Ils ne savaient pas qu'ils signaient
leur déclin aboutissant à leur disparition.
Un équilibre rompu
Malesherbes a écrit au XVIIIe
siècle : "Chaque citoyen peut parler à la nation entière
par la voie de l'impression." Désormais, le talent d'un intellectuel
pouvait faire sa gloire et sa fortune dans toute la France alors que le
talent d'un artisan qui produit un meuble admirable ne sera connu que de
quelques amateurs. L'équilibre entre les productions de l'esprit
et celles des mains est rompu et à mesure que l'on va inventer de
nouveaux moyens de diffuser le savoir-dire, les connaissances abstraites,
celles-ci vont submerger tout ce qui est concret. Les travailleurs manuels
si bien dans leur peau lorsqu'ils étaient paysans ou artisans vont
se sentir inadaptés dans cette civilisation où l'homme a
"lâché la proie pour l'ombre" le réel pour son image.
Nous devons bien comprendre que
certaines inventions peuvent propulser au devant de la scène des
personnes dont le talent serait resté sans cela inconnu. Si Luther
était né un siècle plus tôt, personne ne le
connaîtrait. Grâce à l'imprimerie, ses "protestations"
ont été placardées dans toute l'Europe et lues à
la population par les scribes. Si Johnny Halliday avait eu 20 ans en 1900,
ne pouvant devenir chanteur d'opéra, il aurait renoncé au
métier de chanteur populaire qui nourrissait tout juste son monde.
L'invention de la photographie a
tué la peinture figurative et notamment l'art du portrait si admirable
jusque-là. Depuis, des peintres qui avaient peut-être tous
les dons pour devenir de sublimes portraitistes sont restés dans
l'ombre, leur destin brisé par une invention.
La télévision remplace
la lecture
Les écrivains eux-mêmes
ont été bien plus populaires au XIXe siècle que maintenant
ou la lecture a été remplacée par la télévision.
Élisabeth Badinter a remarquablement
bien compris le Siècle des lumières où beaucoup d'hommes
de talent qui auraient peut-être fait une carrière honorable
dans la théologie, ont profité de l'invention de l'imprimerie
pour obtenir la gloire dont ils étaient avides.
Les siècles précédant
le XVIIIe siècle ont eu autant d'hommes possédant le talent
de Condorcet, de d'Alembert ou de Montesquieu mais qui n'eurent pas la
chance de pouvoir parler à la nation "par la voix de l'impression".
Le microscope a permis à
Pasteur d'obtenir la célébrité. Sans lui, il ne pouvait
prouver l'existence des microbes et trouver le moyen de les combattre.
Parler de l'évolution de
la pensée et des moeurs sans parler des innovations concrètes,
c'est ignorer les vraies causes de cette évolution.
De tous temps quelques écrivains,
hommes ou femmes, ont écrit que la femme était libre de son
corps et devait avoir un comportement amoureux semblable à celui
des hommes. Il a fallu attendre l'invention de la "pilule" pour que cela
entre dans les faits. Cette révolution des moeurs ne vient donc
pas de la religion ou d'une idéologie laïque mais d'une innovation
très concrète.
Ce qui est révolu ne revient
jamais
Pourquoi parler du Moyen Âge
? Est-ce pour vous inviter à revenir en arrière? Certes non
! Ce qui est révolu ne revient jamais. J'ai simplement voulu lutter
contre une désinformation qui présente le Moyen Âge
comme une époque d'obscurantisme et de barbarie.
En haut des religieux ne pensant
qu'à discuter sans fin de l'interprétation des textes du
Nouveau et de l'Ancien Testament. Puis des seigneurs grossiers, brutaux
et exploiteurs du peuple, lequel peuple complètement illettré
devait en plus subir les exactions de bandes de pillards, des pestes et
des disettes.
Comment construire des cathédrales
dans un tel désordre ? Mystère.
L'important est de montrer qu'un
peuple d'illettrés dans une France sans école sauf pour les
intellectuels choisissant la carrière religieuse a pu produire tant
d'oeuvres merveilleuses. La beauté de ces oeuvres nous procure une
immédiate émotion artistique au contraire de l'art moderne
qui demande des années d'initiations intellectuelles pour être
soi-disant compris.
Education et apprentissage
Ce peuple s'auto-éduquait
professionnellement par l'apprentissage. Il apprenait par l'exemple familial
le savoir-vivre.
Il en était de même
pour la noblesse et le clergé où comme pour le tiers état,
les adultes décidaient de l'éducation, de la formation des
enfants qui devaient leur succéder. Les hommes éduquaient
les garçons, les femmes éduquaient les filles.
Cette éducation ne regardait
pas l'état monarchique au contraire de ce qui se passe de nos jours
où l'état républicain est pratiquement seul à
décider de l'éducation de tous les enfants. Dans ce secteur
si important nous vivons dans un état totalitaire.
Au moment de conclure ce chapitre,
je m'aperçois que j'ai oublié de mentionner l'essentiel.
J'ai parlé de créations dans tous les domaines et du merveilleux
savoir-faire qu'elles supposaient mais il fallait concevoir chaque chef-d'oeuvre
avant de le réaliser.
D'où venait cette inspiration
qui habitait tant d'hommes dans tous les domaines ?
Ce qui caractérise ces anciens
temps, c'est la prolifération des projets, la fécondité
de la créativité, la constance du bon goût. Beaucoup
d'individus voulaient se dépasser soit par une action héroïque
soit en réalisant un chef-d'oeuvre. Une population peu nombreuse,
la faiblesse des moyens mis à sa disposition, n'empêchèrent
pas la naissance puis l'épanouissement d'une véritable civilisation
qui eut son apogée sous Louis XIV. La main en fut l'instrument principal.
Les intertitres ont été mis
en place à l'initiative de l'éditeur web
Maxime Laguerre
Avez-vous lu Maxime Laguerre
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L'Ordre Naturel
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