Maxime Laguerre
> UN AUTRE REGARD SUR L'EDUCATION
Récemment Mme Judith Rich Harris*, psychologue américaine diplômée de Harvard, fit une étude approfondie de l'influence de l'éducation parentale sur la formation de la personnalité des enfants. Judith Rich Harris note : "L'importance de l'enfance dans le “destin” d'une personne est devenue une sorte de dogme idéologique des temps modernes." Elle croyait elle-même en grande partie à ce dogme lorsqu'elle entreprit ses recherches. Pour bien réussir une telle étude, il ne faut pas avoir d'idées préconçues qui vous incitent à choisir quelques exemples qui vont dans le sens de ce que l'on veut démontrer. Il faut faire des recherches systématiques et totales. L'auteur a notamment étudié dans les familles à plusieurs enfants l'aîné et le cadet qui sont toujours élevés différemment, ce qui expliquerait selon une idée reçue très répandue une personnalité adulte différente. Or les études systématiques ont bien montré qu'aîné et cadet étaient effectivement traités différemment par leurs parents mais lorsqu'on a étudié la personnalité de milliers d'aînés et de cadets il ne fut trouvé aucune particularité spécifique aux uns ou aux autres. La théorie qui paraissait si séduisante et si certaine s'écroulait totalement. Après des années d'étude Judith Rich Harris dut constater que l'influence du milieu familial et l'éducation parentale ne pouvaient en rien modifier la personnalité de l'enfant. Il est par exemple habituel de relever une corrélation entre un enfant asocial et les conflits éclatant fréquemment entre ses parents. En réalité cette corrélation est due à l'hérédité et non à l'influence du milieu familial. Les parents qui se disputent continuellement ont une nature intolérante et agressive qu'ils transmettent génétiquement à leurs enfants. Voilà un dogme, et d'importance qui s'écroule, dogme qui lança sur de fausses pistes nombre d'éducateurs ! Ce qu'il y a d'utile dans l'ouvrage cité c'est qu'il dit aux parents : ne vous tracassez pas pour l'avenir de vos enfants et sur les erreurs que vous pourriez commettre dans leur éducation, celle-ci n'a aucune influence sur la formation de leur personnalité et donc sur leur destin. Pour conforter ce point de vue voici la morale d'une fable de La Fontaine, "La souris métamorphosée en fille" :
Il faut en revenir toujours à son destin <C'est-à-dire à la loi par le Ciel établie : Parlez au diable, employez la magie Vous ne détournerez nul être de sa fin.
Judith Rich Harris cite un couple de chercheurs américains s'intéressant aux méthodes d'éducation des habitants de Khalapur, village rural d'une région reculée de l'Inde. Ils ont demandé un jour à une mère quel genre d'homme elle voulait que son fils devienne quand il serait grand. La femme a haussé les épaules : "Ça dépend de son destin, a-t-elle répondu, ce que je veux est sans importance." Ainsi autrefois en France, de nos jours dans les régions les plus pauvres du monde où l'idéologie dominante des intellectuels n'est pas parvenue on ne croit pas au primat de l'éducation parentale mais au destin par le Ciel établi. Ici on aperçoit une différence fondamentale entre les intellectuels qui se nourrissent de livres, d'idées, de la représentation abstraite de toutes choses et le monde des hommes qui partent de l'observation des choses pour en tirer des conclusions. Jean-Jacques Rousseau nous montre le cheminement de la pensée intellectuelle. Après avoir eu cinq enfants tous abandonnés à leur naissance il a écrit un gros livre sur l'éducation, certes génial mais fait pour un certain type d'enfant plus imaginé qu'observé. Il n'a pas eu envie de mettre en pratique ses théories. Un homme du concret à la fois observateur et cherchant à tirer des leçons de ses observations aurait commencé à élever beaucoup d'enfants avant d'écrire un ouvrage sur leur éducation. La vérité est sur terre, pas dans les nuées et de cette réalité qu'on observe, que l'on peut recontrôler autant de fois que l'on désire, on peut élaborer des théories dont la qualité dépend de la rectitude du raisonnement, de l'honnêteté intellectuelle et du génie créatif. Les constatations de Judith Rich Harris sont fort intéressantes car elles présentent un élément de l'éducation des enfants jugé primordial, celui donné par les parents. Montrer qu'il n'a aucune influence sur la formation de la personnalité, cette démonstration venant d'une intellectuelle, psychologue diplômée, est importante car l'intelligentsia ne prend en compte que ce qui vient de sa caste. Au Moyen Âge, les chevaliers laissaient l'éducation de leurs fils aux femmes, n'importe lesquelles et ne s'intéressaient à eux qu'à l'âge où ils pouvaient apprendre à monter à cheval, à chasser, à se battre. Nulle crainte pour eux de les trouver efféminés et peu enclins à partager leurs valeurs. Ils savaient déjà par l'observation ce que Judith Rich Harris a découvert après des années de recherches, que la nature de l'être humain qui détermine son comportement et son destin est insensible à l'éducation parentale. J'ajouterai qu'elle est également insensible aux éducations sociale et scolaire. Je reprocherai cependant une chose à Judith Rich Harris. Elle prétend que si l'éducation parentale n'a aucune influence sur la formation de la personnalité elle est remplacée par celle "des pairs" c'est-à-dire les amis, les copains, l'équipe, le groupe, la bande auquel s'intègre l'enfant, lequel partage vite ses valeurs et non celles de ses parents. Ceci n'est pas prouvé et vient d'une autre erreur, ou plutôt omission c'est d'oublier de définir la personnalité et plus généralement ce qui motive le comportement de l'être humain. Tant que l'on n'a pas bien compris ce mécanisme du comportement il est difficile de parler d'éducation. Copyright by Maxime Laguerre Août 2000
Sommaire Maxime Laguerre 4 - Mécanismes du comportement E-mail