Maxime Laguerre
Un autre regard sur l'Education  4
 


 

Mécanismes du comportement

La doctrine du «tout acquis» 

Puisque cet ouvrage traite de l’éducation et de l’instruction et que l’éducation concerne le comportement c’est-à-dire nos rapports avec le concret, les choses et les gens, nous devons étudier son mécanisme pour savoir jusqu’à quel point nous pouvons le modifier.
La doctrine actuelle date du Siècle des Lumières. Condorcet en a défini le principe de base en disant : «Il n’y a entre les deux sexes aucune différence qui ne soit l’ouvrage de l’éducation.»
C’est la doctrine du «tout-acquis» qui prétend que l’enfant est formé par ce que lui apporte sa famille, son environnement social, la société à travers l’école. Il est comme la glaise entre les mains du sculpteur.
Au temps de Cordorcet comme de nos jours, éduquer et instruire étaient presque synonymes parce qu’on croyait pouvoir éduquer le comportement en formant l’esprit. De nos jours, la société à travers l’école enrichit l’esprit des enfants de bons principes : non-violence, respect des opinions d’autrui, tolérance, résolution des conflits par le dialogue et l’on s’aperçoit que de tels principes ne sont appliqués que par les enfants, très minoritaires dont le naturel les prédispose à se comporter selon ces principes. Les autres, hélas, n’en ont cure.

Les besoins naturels

La personnalité que les intellectuels appelaient autrefois le caractère et le peuple le naturel (chassez le naturel, il revient au galop) je préfère l’appeler la nature profonde.
La nature profonde est la somme des instincts qui nous incitent à satisfaire nos besoins biologiques. Ceux-ci nous permettent de survivre et de perpétuer notre patrimoine génétique. Ces besoins fondamentaux comme manger, boire, se protéger des intempéries et des prédateurs, vivre en communauté et en son sein communiquer, satisfaire son besoin de paraître et sa volonté de puissance, vivre en couple, satisfaire ses pulsions sexuelles, aimer et protéger ses enfants, etc., forment notre nature profonde. Le dosage de ces besoins et la manière dont ils s’expriment varient avec chaque individu et forment sa personnalité. Seuls les vrais jumeaux ont la même personnalité.
Quelles sont les incitations poussant à satisfaire les besoins naturels nécessaires à la survie de l’individu et à sa perpétuation ? Le plaisir et la souffrance sous toutes ses formes. C’est ainsi que la température optimum nous permettant de conserver notre bonne santé et notre activité est 20°. Une température de 30° ou de 10° nous procure des sensations désagréables qui nous font rechercher un lieu soit plus frais, soit plus chaud. Ce ne sont donc pas les découvertes scientifiques dans le domaine médical qui nous incitent à rechercher une température de 20° mais le besoin de se sentir bien.
Pour satisfaire ses besoins l’être humain doit s’adapter à son environnement. Une fois qu’il a trouvé le processus pour satisfaire l’un d’eux, il va le répéter et se créer une habitude. L’ensemble des habitudes forme ce que l’on appelait autrefois la seconde nature. Alors que la nature profonde ou personnalité est définitivement fixée dès la conception, la seconde nature peut être éduquée, modifiée. Selon certains critères, un être peut acquérir de bonnes ou de mauvaises habitudes.
A titre d’exemple la soif traduit un besoin biologique qui peut se satisfaire de mille manières. Suivant le lieu où il se trouve l’être humain peut aller chercher de l’eau dans un puits ou se servir d’un robinet s’il a l’eau courante ou préférer une eau minérale de meilleur goût et il peut l’acheter dans divers magasins. Il va finir par déterminer le processus qui lui convient pour étancher chaque jour sa soif et peu à peu le répéter et se créer une habitude.
Changeant de lieu, il devra remettre en question ce processus, changer ses habitudes. Seul son besoin d’eau qui fait partie de sa nature profonde ne peut varier.
Alors que chez les animaux le choix instinctif de ce qui est bon ou mauvais dans un environnement naturel ne saurait être erroné, chez les êtres humains de nombreuses inventions ont mis à sa disposition des produits «trompeurs» comme le tabac, l’alcool, les drogues. En effet, ces produits lui procurent des sensations positives alors qu’elles devraient être négatives pour lui interdire de les utiliser. Elles sont de fait défavorables à sa survie et à la perpétuation de son patrimoine génétique, objectif suprême bien qu’inconscient à partir duquel s’ordonnent toutes les activités animales et végétales.

Notre nature grégaire

Un troisième aspect de notre comportement vient de notre nature grégaire. Un être humain ne peut vivre seul. La mise en quarantaine est la pire des épreuves à laquelle peu d’êtres peuvent survivre.
Nous voilà donc éprouver le besoin de nous insérer dans un certain nombre de communautés plus ou moins grandes, d’abord familiales, ensuite communauté de travail, mondaine, sportive, religieuse, nationale, etc., ce qui nous amène à différentes adaptations comportementales. Par exemple nos vêtements vont changer suivant que nous sommes seuls, position où se révèle notre nature profonde ou en famille, au bureau, dans une réunion mondaine, avec des copains…

Dominants et dominés

Dans chaque groupe il existe un ou des dominants qui donnent le ton et une multitude de dominés qui suivent. Ainsi naissent les modes vestimentaires auxquelles il est difficile de se soustraire même si l’on prétend n’en pas tenir compte. Les femmes y sont plus sensibles que les hommes et même si une nouvelle mode est condamnée par beaucoup d’entre elles qui prétendent «que jamais elles ne porteront ça» elles n’y résistent guère plus de deux mois.
Pour connaître la nature profonde d’un être il faut savoir comment il se comporte hors de tout groupe. Ainsi par exemple lorsqu’il conduit seul sa voiture un homme d’une très grande courtoisie lors d’une réception mondaine peut se muer en parfait goujat lorsqu’il s’agit de ravir une place de parking à un autre conducteur qui l’attendait depuis plus longtemps.
Parfois un être ayant du génie dans l’art oratoire peut subjuguer les foules et sembler créer un «homme nouveau» auquel tous les citoyens s’efforcent de ressembler.
Que ce dominant disparaisse et que de nouveaux leaders prennent la place des anciens et le monde entier croira que les citoyens de ce pays ont totalement changé. C’est une erreur, leur nature profonde étant toujours la même. Les changements chez les individus qui forment une nation se font toujours très lentement et sont toujours dus à des dérives génétiques et non à des mouvements d’idées.
Cet instinct grégaire est d’une extrême importance pour expliquer notre comportement en certaines circonstances. Parmi les animaux qui vivent en communauté le chien, qui le possède, peut remplacer le dominant de la meute par son maître.

L’homme et son chien

Jack London qui a participé à la Ruée vers l’or a beaucoup étudié les rapports entre l’homme et son chien. Il pensait que pour le chien qui adore son maître celui-ci est comme un dieu dont il ne peut se détacher. Que le maître soit bon pour lui ou méchant, l’animal lui reste fidèle et le défendra jusqu’à y perdre la vie.
Ainsi l’homme ayant donné sa foi à un chef le suivra jusqu’au bout, parfois jusqu’au sacrifice.
Si les conflits entre le comportement «naturel» et le comportement grégaire sont connus depuis la nuit des temps, la psychanalyse a su les présenter d’une manière nouvelle en appelant la nature profonde l’inconscient ou le subconscient.

La psychanalyse

Appartenant à l’école de pensée du «tout-acquis» la psychanalyse prétend que cet inconscient n’est pas inné mais s’est formé dans la petite enfance et que l’individu peut modifier certaines pulsions qu’il veut combattre en prenant conscience de certains incidents de sa petite enfance, les «traumatismes du vécu».
A titre d’exemple jusqu’à la première moitié du xxe siècle, le comportement grégaire était en partie subjugué par une morale dominante qui entre autre considérait comme bien l’union hétérosexuelle et mal l’homosexualité. D’où naissance de graves conflits chez les homosexuels. La psychanalyse s’est acharnée à prétendre que l’homosexualité était provoquée par des relations équivoques pendant la petite enfance. Elle était de toute façon acquise. De nos jours il ne fait plus de doute qu’il s’agit d’une différence innée, génétique.
Il est intéressant de noter qu’une récente campagne de journaux anglais contre les pédophiles s’est traduite par la publication de noms et photos d’individus ayant été condamnés pour de tels comportements, parfois vingt ans plus tôt. Cela voulait dire que contrairement à la doctrine freudienne, la pédophilie était considérée par ces journaux comme innée et irrémédiable.
Chose étonnante, les nations européennes n’ont pas protesté avec véhémence contre ce retour à la doctrine du «criminel né» qu’ils avaient autrefois radicalement condamnée. Ainsi les psychanalystes se réfèrent toujours à un maître tout en ayant abandonné sa doctrine.
Je voudrais préciser que si l’éducation correspond à la nature profonde, à une tendance innée, ce qui sera appris subsistera après le départ de l’éducateur. Par contre si cette éducation ne correspond pas à la nature profonde et si la société par son action grégaire ne prend pas le relais de l’éducateur, toutes les leçons de celui-ci seront vite oubliées.

Qui vole un œuf vole un bœuf

Autrefois pour réprimer une tendance innée au vol, on disait aux enfants : «Qui vole un œuf vole un bœuf» et le vol d’un œuf était très sévèrement puni. Ensuite, chez l’adulte la société prenait le relais et châtiait cruellement le voleur, souvent en le suppliciant en place publique. Le vol était de ce fait extrêmement rare. C’est ainsi que Louis XIV permettait à n’importe qui de visiter le château de Versailles à condition d’être habillé proprement. On pouvait louer un pourpoint si nécessaire à la porte du château. Aucun vol, aucun vandalisme n’a été à déplorer.
En ce temps-là, toutes les églises étaient ouvertes. De nos jours, elles sont fermées en dehors des heures de cérémonies.

Le savoir-vivre

Je me suis efforcé d’analyser le comportement humain et d’expliquer son mécanisme en révélant l’existence d’une nature profonde ou personnalité qui est intangible. C’est l’inné définitivement fixé au moment de la conception. Rien ne peut le modifier.
J’ai également révélé l’existence d’une seconde nature, celle des habitudes. Elle seule peut et doit être éduquée pour apprendre au futur adulte à s’intégrer à la société en s’adaptant à ses lois, à ses usages, à ses coutumes. C’est le savoir-vivre.
L’analyse du comportement de l’être humain a également révélé l’importance des instincts grégaires, comme nous l’avons déjà dit.
C’est probablement la nature profonde qui choisit la communauté à laquelle l’individu va s’intégrer en imitant son ou ses dominants. Il ne sait pas toujours où cela va le mener mais s’il est subjugué, cela veut dire qu’il perd son autonomie, sa liberté de jugement.
Comme je l’ai dit nous appartenons en même temps à plusieurs communautés, indépendantes les unes des autres.
Pour résumer, on peut dire que lorsqu’un individu agit c’est poussé par sa nature profonde, il choisit par habitude, ou pour se conformer au comportement des membres d’un groupe auquel il appartient.
Cependant l’être humain n’est pas que cela car la nature profonde, les habitudes et les instincts grégaires se retrouvent chez de nombreux animaux et expliquent leur comportement.

L’imagination créatrice

L’homme primitif avait un comportement très voisin de celui de certains animaux dits supérieurs. C’est l’imagination créatrice que ne possède aucun animal qui semble être la seule différence expliquant son évolution.
Encore faut-il comprendre selon quels critères les individus adoptent une invention faite par l’un d’eux. La recherche du moindre effort en est le principal. Cette tendance existe chez tous les animaux. La «Société protectrice des Oiseaux» recommande de donner de la nourriture aux oiseaux en hiver mais d’arrêter fin mars afin d’éviter qu’ils deviennent dépendants d’une nourriture facile à trouver. Sinon l’arrêt de cette distribution peut provoquer leur mort par incapacité de faire les efforts nécessaires pour trouver leur subsistance habituelle.
Ainsi l’homme est devenu dépendant de toutes les innovations qu’il a adoptées et considère avec horreur les conditions de vie de nos ancêtres. Il est fier d’avoir inventé le temps libre alors qu’autrefois on disait que l’oisiveté est mère de tous les vices.
L’homme a créé des moyens de communiquer abstraits : langage, chiffres, des moyens de communiquer à la frontière de l’abstrait et du concret : dessin, peintures, images, croquis, plans, et enfin il a créé des objets, des ustensiles, des outils lui permettant d’accroître sa puissance et son mieux-être et c’est par l’exemple qu’il a enseigné comment les fabriquer et les utiliser.
Contrairement à ce que croient les intellectuels les productions de l’esprit n’ont joué qu’un faible rôle dans l’évolution humaine. Ce sont les créations concrètes qui ont profondément modifié notre environnement matériel donc notre style de vie et par contrecoup notre patrimoine génétique.

Modification du patrimoiné génétique

Il peut paraître surprenant que le style de vie modifie le patrimoine génétique. Cependant si l’on considère que les Noirs africains recrutés pour travailler dans les champs de coton des États-Unis ont été sélectionnés pour leur vigueur, que l’on sait depuis longtemps qu’un homme gras est peu doué pour une activité physique demandant endurance et rapidité, il est tout a fait certain qu’aucun travailleur obèse n’a été recruté. Or de nos jours, entre un quart et un tiers des Américains, dont les Noirs, sont obèses. On remarque des familles d’obèses ce qui fait dire qu’il existe un phénomène d’hérédité.
Comment ces Noirs sont-ils devenus génétiquement obèses si ce n’est en changeant de vie, en passant des heures devant une télévision à grignoter des amuse-gueules. Or ce sont les progrès technologiques qui ont créé l’abondance alimentaire. Ils ont provoqué également la disparition du travail physique fatigant et l’augmentation du temps libre.
Nous sommes donc amenés à penser qu’une modification du comportement pendant plusieurs générations peut modifier notre patrimoine génétique, créer de nouveaux besoins génétiquement transmissibles, changer notre aspect physique.
A supposer que ni la maîtrise du feu, ni les armes, ni les pièges n’aient été inventés mais que seuls aient évolué le langage et la pensée, l’être humain aurait continué à vivre dans des cavernes ou dans quelque abri de fortune d’une manière qu’on appelle primitive.
C’est ceux que l’on appelle de nos jours, et avec quelque condescendance des «manuels», ceux qui préfèrent manier le concret, les choses et les gens et non les intellectuels qui manient l’abstrait, les mots, les chiffres, les idées, les symboles qui ont fait évoluer la société humaine par leurs inventions.

Conclusion 

Ainsi chaque individu possède une personnalité qui va orienter sa vie, ses choix professionnels ou sociaux. C’est son destin que nul ne peut modifier. Nous pouvons être au mieux pour un enfant comme un bon jardinier qui apporte à la plante exactement ce qu’elle demande. Elle ne peut assimiler autre chose ni devenir une autre plante parce qu’on lui donne une autre nourriture.
Mais alors que le jardinier sait exactement quelle plante correspond à la graine qu’il sème et connaît par expérience ses besoins, l’éducateur ignore le destin contenu dans le patrimoine génétique de l’enfant et comment l’aider à s’accomplir. L’enfant lui-même ignore quelle sera sa vie.
Parfois la personnalité est très faible, ou met du temps à s’affirmer et dans ce cas il est possible d’influencer son choix. Ou bien il sait ce qu’il veut et nous ne pouvons que l’aider à réaliser son rêve.
De toutes façons apprendre le savoir-vivre en société, c’est-à-dire les règles de politesse et l’obéissance aux lois, est toujours nécessaire. Mais il s’agit d’un comportement et non d’un savoir abstrait et un comportement se forme par l’exemple, les récompenses et les punitions.
Maxime Laguerre

 
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L'Ordre Naturel

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