Maxime Laguerre
Un autre regard sur l'Education  8
 


Les Affinités électives

Définition : 
"Sympathie née d'une ressemblance profonde entre les caractères, 
les opinions, les goûts de deux personnes."

 
Lorsque cette sympathie rapproche un certain nombre de personnes, on dit qu'elles appartiennent à la même famille spirituelle.
Le très éminent anthropologue Claude Lévi-Strauss disait dans un discours aux Nations unies : "On ne peut mettre dans la même catégorie, ni attribuer automatiquement au même préjugé, l'attitude de certains individus ou groupes que leur attachement à certaines valeurs rend totalement ou partiellement insensibles à des valeurs différentes. Il n'y a rien d'inadmissible dans le fait de placer un mode de vie au-dessus de tous les autres, ou de ne pas être attiré par des individus ou des groupes dont le mode de vie, respectable en soi, est très éloigné du système auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n'autorise évidemment personne à opprimer ou à détruire les valeurs qu'il rejette ni leurs représentants ; mais à cette condition, elle n'a rien de répugnant. Elle peut être le prix à payer pour que soit préservé le système de valeurs de chaque communauté ou de chaque famille spirituelle et pour qu'il trouve en lui-même les ressources nécessaires à son renouvellement."
Ce texte est important et il entre parfaitement dans le cadre de mon ouvrage sur l'éducation. En effet ces familles spirituelles différentes ne se trouvent pas seulement chez des peuples différents mais aussi, à l'intérieur d'un peuple. Éduquer, c'est respecter la famille spirituelle dont l'enfant est issu et non vouloir à toute force le faire entrer dans sa propre famille spirituelle.
Cette erreur provient du flou qui entoure l'origine, la cause première des affinités électives. Sans le dire expressément il est convenu de croire que les "caractères, opinions et goûts" sont acquis et proviennent de différentes influences ou de différents enseignements dont il est très difficile de retrouver le cheminement. S'il en est ainsi on peut en procurant à l'enfant les mêmes acquis aboutir à ce qu'il ait le caractère, les opinions, les goûts que l'on souhaite lui donner.
L'erreur est fondamentale et elle a eu des conséquences parfois désastreuses.
Les affinités électives ne sont pas toujours totales. Vous pouvez avec une autre personne avoir de grandes affinités pour la musique ou la littérature mais pas pour la gastronomie. Cependant il est un cas où il y a totale affinité, c'est celui des vrais jumeaux qu'ils soient élevés ensemble ou séparés à la naissance puis se retrouvant à l'âge adulte. Les vrais jumeaux appartiennent toujours à la même famille spirituelle et on ne peut pas parler du même héritage culturel s'ils sont élevés dans des familles, des milieux, des pays fort différents. On ne peut parler que d'héritage génétique, ou plutôt d'identité des patrimoines génétiques n'existant que chez les jumeaux.

Des caractères innés

Ainsi les caractères, opinions, goûts d'un individu étant innés et non acquis, il est vain de vouloir les modifier, on ne peut que les enrichir avec des nourritures matérielles, intellectuelles, spirituelles que sa nature lui permet d'assimiler.
Certes tout être humain, à l'instar des comédiens peut donner de lui une image ne correspondant pas à sa nature profonde et ceci s'il y trouve son intérêt.
Dans tout pays à économie stable c'est-à-dire dont les technologies n'évoluent pas, il se forme des castes, des classes sociales dont les individus ont des activités, un style de vie semblables. Ils sont génétiquement bien adaptés à ce style de vie et ils tentent de préserver cette bonne adaptation génétique en interdisant les mariages hors de la caste ou de la classe sociale.
Les affinités électives entre tous les membres d'une même caste sont très grandes sauf accident génétique et apparition d'un individu très différent. C'est la brebis galeuse qui pose bien des problèmes.
L'éducation, l'instruction à l'intérieur d'une caste est facile. L'enfant est né pour comprendre les valeurs de sa caste, son style de vie, ses activités professionnelles.
De même que la caste rejette les individus hors normes, elle peut en accueillir venant d'une autre caste mais ayant des affinités électives avec les membres de la caste. C'est la véritable intégration qui ne prend en compte que la personnalité et non l'intérêt, c'est-à-dire les avantages que l'individu peut tirer de cette intégration ou soi-disant intégration.

Les mariages de raison

On comprend mieux pourquoi pendant la longue période où l'on a privilégié en Europe la perpétuation de la famille bien adaptée à une activité professionnelle et à un style de vie, et ceci en favorisant les mariages dans la classe sociale, on a combattu la primauté de l'attirance sexuelle telle qu'elle est pratiquée de nos jours.
En effet l'étude des vrais jumeaux a permis de constater que le seul point ou leur choix différait, parfois totalement, concernait leur attirance sexuelle.
Si l'on regarde attentivement les tableaux de Millet et de Van Gogh sur la vie des paysans de leur temps (fin du xixe siècle), on s'aperçoit que les femmes portaient continuellement des robes très longues avec des manches cachant leurs bras et des bas cachant leurs chevilles. Or, à cette époque de tels vêtements coûtaient cher et étaient peu pratiques mais il était impératif de ne jamais éveiller l'attirance charnelle chez les hommes.
La vie chez les paysans, sous cet angle, était semblable à celle des oiseaux qui en dehors de l'accouplement et de ses préambules - soit quelques heures ou quelques jours par an - vivent comme des êtres asexués.
Dans toutes les familles les parents faisaient en sorte que l'attirance sensuelle ne se manifeste qu'envers un des candidats qu'ils avaient choisis. Cela faisait des mariages infiniment plus solides que ceux basés uniquement sur l'attirance sexuelle. Par exemple un enfant de paysan, garçon ou fille, qui avait pendant toute son enfance aidé ses parents avait été préparé à sa vie d'adulte s'il restait dans la même classe sociale.

Une époque instable

L'époque actuelle à l'aube du XXIe siècle se caractérise par une économie instable due à une évolution technologique accélérée. En outre les immigrations massives augmentent considérablement le mélange des "familles spirituelles ou culturelles" qui dépendent elles-mêmes des patrimoines génétiques.
Les différences entre individus deviennent énormes et la compréhension ne peut se faire qu'au niveau de certaines jouissances communes à tous.
Éduquer et instruire une humanité aussi disparate avec laquelle le professeur n'a aucune affinité devient un travail difficile.
L'épanouissement, la créativité d'un individu sont-ils favorisés par sa vie au milieu de personnes pour lesquelles il éprouve des affinités électives ou au contraire de personnes très différentes de lui, ayant une autre culture que la sienne ? Cette dernière thèse est privilégiée de nos jours. On parle d'une confrontation féconde des cultures. Le patchwork des ethnies ayant chacune leur culture serait donc le terreau de multiples talents.
Or je pense tout à fait le contraire.
De l'an 700 jusqu'en 1900 il n'y eut pratiquement pas d'immigration en Europe. Les villages vivaient en autarcie et la population était presque exclusivement rurale. Entre le XVIIIe siècle et le début du xxie siècle la population française a été multipliée par trois. La technologie nécessaire aux artistes pour apprendre et s'exprimer c'est-à-dire par exemple les instruments de musique a probablement été multipliée par 100 pour un même nombre d'habitants. Oui cent pianos de nos jours pour un au temps de Jean-Sébastien Bach. Cent multiplié par trois cela fait 300. Nous devrions avoir six cents Jean-Sébastien Bach de nos jours si la multiplication de la population, des instruments de musique et de l'éducation musicale donnait ses fruits.

Je suis persuadé que Jean-Sébastien Bach transplanté à sa naissance en Chine dans un milieu aimant la musique mais d'une autre sensibilité n'aurait rien produit. Vivant au contraire parmi des personnes avec lesquelles il avait de profondes affinités, qui de ce fait ressentaient les mêmes émotions à écouter sa musique que lui à la composer, il ne put que s'épanouir et exprimer totalement ses sentiments.

Le choc enrichissant des cultures, encore une idée reçue très discutable.

Dans les écoles, collèges, lycées, facultés, universités, on ne peut nier qu'il se révèle des affinités électives entre professeurs et certains élèves. Dans ce cas on constate un plaisir réciproque du professeur à enseigner et de ces élèves à apprendre. C'est l'enseignement idéal tel qu'il existait avant l'apparition des diplômes. En effet, les élèves choisissaient les maîtres pour lesquels ils se sentaient certaines affinités électives et avec lesquels ils avaient plaisir à approfondir leurs connaissances aussi bien concrètes qu'abstraites.
Le diplôme source de profits et de promotion sociale a tout corrompu.
On ne cherche plus à enrichir définitivement son esprit ou son savoir-faire mais à mémoriser momentanément des connaissances permettant d'obtenir le diplôme.
Maxime Laguerre

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