Les Affinités électives
Définition :
"Sympathie née d'une ressemblance
profonde entre les caractères,
les opinions, les goûts de
deux personnes."
Lorsque cette sympathie rapproche
un certain nombre de personnes, on dit qu'elles appartiennent à
la même famille spirituelle.
Le très éminent anthropologue
Claude Lévi-Strauss disait dans un discours aux Nations unies :
"On ne peut mettre dans la même catégorie, ni attribuer automatiquement
au même préjugé, l'attitude de certains individus ou
groupes que leur attachement à certaines valeurs rend totalement
ou partiellement insensibles à des valeurs différentes. Il
n'y a rien d'inadmissible dans le fait de placer un mode de vie au-dessus
de tous les autres, ou de ne pas être attiré par des individus
ou des groupes dont le mode de vie, respectable en soi, est très
éloigné du système auquel on est traditionnellement
attaché. Cette incommunicabilité relative n'autorise évidemment
personne à opprimer ou à détruire les valeurs qu'il
rejette ni leurs représentants ; mais à cette condition,
elle n'a rien de répugnant. Elle peut être le prix à
payer pour que soit préservé le système de valeurs
de chaque communauté ou de chaque famille spirituelle et pour qu'il
trouve en lui-même les ressources nécessaires à son
renouvellement."
Ce texte est important et il entre
parfaitement dans le cadre de mon ouvrage sur l'éducation. En effet
ces familles spirituelles différentes ne se trouvent pas seulement
chez des peuples différents mais aussi, à l'intérieur
d'un peuple. Éduquer, c'est respecter la famille spirituelle dont
l'enfant est issu et non vouloir à toute force le faire entrer dans
sa propre famille spirituelle.
Cette erreur provient du flou qui
entoure l'origine, la cause première des affinités électives.
Sans le dire expressément il est convenu de croire que les "caractères,
opinions et goûts" sont acquis et proviennent de différentes
influences ou de différents enseignements dont il est très
difficile de retrouver le cheminement. S'il en est ainsi on peut en procurant
à l'enfant les mêmes acquis aboutir à ce qu'il ait
le caractère, les opinions, les goûts que l'on souhaite lui
donner.
L'erreur est fondamentale et elle
a eu des conséquences parfois désastreuses.
Les affinités électives
ne sont pas toujours totales. Vous pouvez avec une autre personne avoir
de grandes affinités pour la musique ou la littérature mais
pas pour la gastronomie. Cependant il est un cas où il y a totale
affinité, c'est celui des vrais jumeaux qu'ils soient élevés
ensemble ou séparés à la naissance puis se retrouvant
à l'âge adulte. Les vrais jumeaux appartiennent toujours à
la même famille spirituelle et on ne peut pas parler du même
héritage culturel s'ils sont élevés dans des familles,
des milieux, des pays fort différents. On ne peut parler que d'héritage
génétique, ou plutôt d'identité des patrimoines
génétiques n'existant que chez les jumeaux.
Des caractères innés
Ainsi les caractères, opinions,
goûts d'un individu étant innés et non acquis, il est
vain de vouloir les modifier, on ne peut que les enrichir avec des nourritures
matérielles, intellectuelles, spirituelles que sa nature lui permet
d'assimiler.
Certes tout être humain, à
l'instar des comédiens peut donner de lui une image ne correspondant
pas à sa nature profonde et ceci s'il y trouve son intérêt.
Dans tout pays à économie
stable c'est-à-dire dont les technologies n'évoluent pas,
il se forme des castes, des classes sociales dont les individus ont des
activités, un style de vie semblables. Ils sont génétiquement
bien adaptés à ce style de vie et ils tentent de préserver
cette bonne adaptation génétique en interdisant les mariages
hors de la caste ou de la classe sociale.
Les affinités électives
entre tous les membres d'une même caste sont très grandes
sauf accident génétique et apparition d'un individu très
différent. C'est la brebis galeuse qui pose bien des problèmes.
L'éducation, l'instruction
à l'intérieur d'une caste est facile. L'enfant est né
pour comprendre les valeurs de sa caste, son style de vie, ses activités
professionnelles.
De même que la caste rejette
les individus hors normes, elle peut en accueillir venant d'une autre caste
mais ayant des affinités électives avec les membres de la
caste. C'est la véritable intégration qui ne prend en compte
que la personnalité et non l'intérêt, c'est-à-dire
les avantages que l'individu peut tirer de cette intégration ou
soi-disant intégration.
Les mariages de raison
On comprend mieux pourquoi pendant
la longue période où l'on a privilégié en Europe
la perpétuation de la famille bien adaptée à une activité
professionnelle et à un style de vie, et ceci en favorisant les
mariages dans la classe sociale, on a combattu la primauté de l'attirance
sexuelle telle qu'elle est pratiquée de nos jours.
En effet l'étude des vrais
jumeaux a permis de constater que le seul point ou leur choix différait,
parfois totalement, concernait leur attirance sexuelle.
Si l'on regarde attentivement les
tableaux de Millet et de Van Gogh sur la vie des paysans de leur temps
(fin du xixe siècle), on s'aperçoit que les femmes portaient
continuellement des robes très longues avec des manches cachant
leurs bras et des bas cachant leurs chevilles. Or, à cette époque
de tels vêtements coûtaient cher et étaient peu pratiques
mais il était impératif de ne jamais éveiller l'attirance
charnelle chez les hommes.
La vie chez les paysans, sous cet
angle, était semblable à celle des oiseaux qui en dehors
de l'accouplement et de ses préambules - soit quelques heures ou
quelques jours par an - vivent comme des êtres asexués.
Dans toutes les familles les parents
faisaient en sorte que l'attirance sensuelle ne se manifeste qu'envers
un des candidats qu'ils avaient choisis. Cela faisait des mariages infiniment
plus solides que ceux basés uniquement sur l'attirance sexuelle.
Par exemple un enfant de paysan, garçon ou fille, qui avait pendant
toute son enfance aidé ses parents avait été préparé
à sa vie d'adulte s'il restait dans la même classe sociale.
Une époque instable
L'époque actuelle à
l'aube du XXIe siècle se caractérise par une économie
instable due à une évolution technologique accélérée.
En outre les immigrations massives augmentent considérablement le
mélange des "familles spirituelles ou culturelles" qui dépendent
elles-mêmes des patrimoines génétiques.
Les différences entre individus
deviennent énormes et la compréhension ne peut se faire qu'au
niveau de certaines jouissances communes à tous.
Éduquer et instruire une
humanité aussi disparate avec laquelle le professeur n'a aucune
affinité devient un travail difficile.
L'épanouissement, la créativité
d'un individu sont-ils favorisés par sa vie au milieu de personnes
pour lesquelles il éprouve des affinités électives
ou au contraire de personnes très différentes de lui, ayant
une autre culture que la sienne ? Cette dernière thèse est
privilégiée de nos jours. On parle d'une confrontation féconde
des cultures. Le patchwork des ethnies ayant chacune leur culture serait
donc le terreau de multiples talents.
Or je pense tout à fait le
contraire.
De l'an 700 jusqu'en 1900 il n'y
eut pratiquement pas d'immigration en Europe. Les villages vivaient en
autarcie et la population était presque exclusivement rurale. Entre
le XVIIIe siècle et le début du xxie siècle la population
française a été multipliée par trois. La technologie
nécessaire aux artistes pour apprendre et s'exprimer c'est-à-dire
par exemple les instruments de musique a probablement été
multipliée par 100 pour un même nombre d'habitants. Oui cent
pianos de nos jours pour un au temps de Jean-Sébastien Bach. Cent
multiplié par trois cela fait 300. Nous devrions avoir six cents
Jean-Sébastien Bach de nos jours si la multiplication de la population,
des instruments de musique et de l'éducation musicale donnait ses
fruits.
Je suis persuadé que Jean-Sébastien
Bach transplanté à sa naissance en Chine dans un milieu aimant
la musique mais d'une autre sensibilité n'aurait rien produit. Vivant
au contraire parmi des personnes avec lesquelles il avait de profondes
affinités, qui de ce fait ressentaient les mêmes émotions
à écouter sa musique que lui à la composer, il ne
put que s'épanouir et exprimer totalement ses sentiments.
Le choc enrichissant des cultures,
encore une idée reçue très discutable.
Dans les écoles, collèges,
lycées, facultés, universités, on ne peut nier qu'il
se révèle des affinités électives entre professeurs
et certains élèves. Dans ce cas on constate un plaisir réciproque
du professeur à enseigner et de ces élèves à
apprendre. C'est l'enseignement idéal tel qu'il existait avant l'apparition
des diplômes. En effet, les élèves choisissaient les
maîtres pour lesquels ils se sentaient certaines affinités
électives et avec lesquels ils avaient plaisir à approfondir
leurs connaissances aussi bien concrètes qu'abstraites.
Le diplôme source de profits
et de promotion sociale a tout corrompu.
On ne cherche plus à enrichir
définitivement son esprit ou son savoir-faire mais à mémoriser
momentanément des connaissances permettant d'obtenir le diplôme.
Maxime Laguerre
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Le Mirage du Progrès
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