Maxime Laguerre
Un autre regard sur l'Education  7
 


Le Diplôme

Définition ancienne : 

"Pièce officielle établissant un droit, un privilège."

Si de nos jours cette définition est toujours vraie, la manière d'obtenir un diplôme a changé. Ce n'est plus comme autrefois où le pouvoir monarchique les distribuait à ceux qui avaient rendu service à la nation. De nos jours on l'obtient en réussissant différentes épreuves intellectuelles. Celles-ci mesurent à la fois le Q.I. et la mémorisation d'un savoir plus ou moins utile professionnellement.
Jusqu'au XVIIIe siècle, la population française se répartissait en trois états : le tiers état constitué des paysans et des artisans, la noblesse qui assurait la défense et la protection d'un territoire et le clergé qui tenait l'état civil et contrôlait les moeurs.
Le tiers état produisait tous les biens de consommation destinés à l'ensemble de la population. Paysans et artisans étaient formés par l'apprentissage dont deux proverbes fixaient les principes :

"C'est en forgeant qu'on devient forgeron."

"C'est au pied du mur qu'on juge le maçon."

Le premier proverbe explique clairement que c'est en pratiquant un métier guidé par ceux qui le connaissent parfaitement que l'on devient l'égal de ses maîtres.
Le second proverbe indique que l'on ne juge pas des qualités professionnelles sur les connaissances théoriques d'une personne mais sur son efficacité pratique. La notion de diplôme précédant l'activité professionnelle n'existait pas dans l'immense majorité de la population, celle qui produisait tous les biens de consommation nécessaires à la vie de la nation.
On voyait déjà poindre sous l'Ancien Régime dans les deux classes non manuelles, la noblesse et le clergé, ce désir de bénéficier d'avantages particuliers appelés privilèges distribués à cette époque par le pouvoir royal ou le pouvoir religieux.
La noblesse qui possédait dans l'ensemble des qualités spécifiques à sa fonction était une sorte de caste croyant à la transmission héréditaire du caractère (personnalité). C'est donc de naissance qu'on obtenait le titre et les droits et devoirs qui y étaient attachés.
Seule la religion pratiquait un recrutement de ses membres sur examen permettant de juger de leur intelligence, de leurs connaissances religieuses, de leur caractère et de leur foi.
Le clergé formait la seule classe dans laquelle les qualités intellectuelles avaient une grande importance.

Entrer dans la fonction publique

De nos jours, certains diplômes ou la réussite à certains concours permettent d'entrer dans la Fonction publique et de bénéficier de différents privilèges.
Ces avantages particuliers sont entre autres la garantie de l'emploi jusqu'à la retraite, un plan de carrière minimum assurant une promotion automatique, une retraite bien mieux calculée que dans le privé et prise plus jeune que pour des fonctions similaires hors service public, possibilité de se mettre en disponibilité et de revenir prendre sa place quand bon vous semble (avantage inappréciable qui permet pratiquement aux seuls fonctionnaires de se présenter aux élections sans porter atteinte à leur carrière professionnelle), meilleur remboursement des soins, assurances moins chères, calcul très avantageux de la retraite, accès à une centrale d'achats réservée à la Fonction publique. Il faut ajouter certains avantages spécifiques à chaque corporation (électricité presque gratuite pour les salariés de l'E.D.F., voyages gratuits pour ceux de la S.N.C.F., etc.).

Une enquête du Nouvel Observateur

Le plus grand magazine de gauche, le Nouvel Observateur qui est très bien fait et assez objectif a fait une grande enquête en septembre 1999 sur le temps de travail réel et les rémunérations des Français. Pour tous les enseignants il a enregistré les déclarations de ceux-ci sur leur temps passé à préparer des cours, à corriger des copies d'examen, et à enseigner.
Il est tout à fait certain que le Nouvel Observateur a beaucoup d'abonnés appartenant à la Fonction publique et bien peu parmi les épiciers ou les petits agriculteurs. De ce fait si cette étude a pu être légèrement tendancieuse, ce ne peut être que pour plaire aux fonctionnaires.
Or, nous voyons qu'un boulanger-pâtissier travaille 3 080 heures par an et un professeur certifié du secondaire 1 060 heures. Trois fois moins ! Est-ce que le métier de professeur est beaucoup plus pénible et fatigant que celui de boulanger-pâtissier qui se lève au milieu de la nuit pour commencer à pétrir et à cuire le pain ?
Si notre boulanger est malade et doit interrompre son travail, c'est une vraie catastrophe. Pas de travail, pas de profits. Par contre, notre professeur à la moindre fatigue peut s'arrêter : il continue à être payé. En outre le professeur prendra sa retraite dix ans plus tôt que le boulanger. Il aurait été intéressant de donner le nombre de jours d'absences pour maladie des professeurs et des boulangers. Cela aurait réservé quelques surprises.
Cette étude nous montre qu'un petit agriculteur chef d'exploitation gagne 29 F de l'heure alors que le professeur 169 F. Est-ce à dire que la gestion d'une petite ferme est plus facile et moins pénible que le travail du professeur ? Lorsqu'on a du bétail, pas question de s'arrêter pour maladie ou vacances annuelles.
Ces trois professions nécessitent des qualités spécifiques et si, ni le boulanger, ni l'agriculteur ne peuvent devenir professeur l'inverse est également vrai.
On peut remarquer également que ni la durée de travail annuelle ni l'âge de la retraite ne sont liés à la pénibilité du travail. Il est même très fréquent que l'âge de la retraite soit avancé dans les professions les moins fatigantes.
Une telle étude, très passionnante aurait dû être faite par un ministre du Travail et non par un hebdomadaire à ses frais. Mais en fait, elle n'intéresse nullement les partis politiques, la Chambre des députés étant dans sa majorité une annexe de la Fonction publique. C'est donc par son intermédiaire que la Fonction publique a voté ou approuvé la multitude de privilèges dont elle bénéficie. Tout cela a été fait dans la plus grande discrétion afin que les électeurs du privé ne s'en offusquent pas.

Privilèges de la Fonction publique

N'allez pas dire aux membres de la Fonction publique qu'ils bénéficient de privilèges, mot banni entre tous. Ce sont des droits acquis, obtenus à la suite de luttes glorieuses et un droit acquis, c'est sacré. Le combattre est sacrilège.
Notre ministre de l'Éducation peut réformer les programmes tant qu'il veut mais il sait parfaitement que tenter de diminuer d'une manière infime un droit acquis devenu totalement sans fondement déclencherait la révolution. D'ailleurs lui-même a toujours été fonctionnaire et son Premier ministre l'a été également. Il est toujours malvenu de cracher dans la soupe qu'on trouvait fort bonne lorsqu'elle vous nourrissait. Le système est si bien verrouillé que seule une révolution pourrait provoquer l'abolition des privilèges.
Finalement, lorsqu'on analyse le travail réalisé par les fonctionnaires, on ne trouve pas de différence fondamentale avec celui effectué par les salariés du privé. Dès lors, pourquoi avoir un système de recrutement complètement différent ne tenant compte que d'un diplôme ou de la réussite à un concours ? Les entreprises privées tiennent compte des diplômes ou mieux de l'expérience professionnelle, elles posent mille questions, se renseignent auprès des références du candidat et de toutes façons ne l'embauchent qu'à l'essai. La garantie de l'emploi n'est jamais accordée.
Toutes les entreprises privées considèrent que l'utilisation du système de recrutement et l'adoption des privilèges de la Fonction publique les mèneraient à leur perte.
N'est-ce pas une question de justice sociale et une garantie d'efficacité que de réclamer l'application à la Fonction publique des mêmes conditions de travail que dans les entreprises privées, c'est-à-dire recrutement en tenant compte d'un ensemble de qualités assurant la bonne adaptation à l'emploi. C'est-à-dire non-garantie de l'emploi, promotion non automatique mais suivant les résultats obtenus, temps de travail, âge de la retraite et sommes versées équivalents. Bref, abolition de tous les privilèges qui sont à la fois socialement injustes et cause de la faible efficacité de la Fonction publique.
Nous avons vu par quel système pervers ces privilèges ont été obtenus mais si l'on demande à un fonctionnaire de justifier leur équité, il se trouve bien embarrassé sauf à dire qu'un diplôme mérite une rente de situation. Dans les P.M.E., il y a très peu de diplômés, la promotion s'étant faite sur le terrain. Le fonctionnaire a dans l'idée que toutes ses années d'études sanctionnées par un diplôme méritent un traitement à part, justifient ses privilèges.

La pêche à la ligne

Tentons d'étudier le principe du diplôme en prenant un exemple concret.
M. X qui habite maintenant à la campagne a envie de pêcher à la ligne. Il s'inscrit à une école de pêche privée et apprend la théorie et la pratique de la pêche à la ligne. Naturellement, dans cette école on ne donne pas de diplôme. On donne seulement des connaissances utiles pour pêcher à la ligne, les enseignés ne demandant pas autre chose.
On pourrait imaginer une école de pêche d'État enseignant tout sur la biologie des poissons, sur les plantes et insectes vivant dans l'eau, sur les différentes cannes à pêche, lignes, moulinets, hameçons, flotteurs et ceci sans cours pratique. Le diplôme donnerait le droit de pêche. Ainsi les plus doués pour mémoriser cet enseignement obtiendraient ce diplôme et auraient seuls le privilège de pouvoir pêcher.
On voit par cet exemple qu'un enseignement dont le but est de rendre plus efficace dans l'exercice d'une profession, mais ne donnant aucun droit car sans obtention d'un diplôme, est fort différent d'un enseignement dont le contenu est secondaire mais le diplôme qui constate sa mémorisation à un moment donné procure des droits très importants.

Effet pervers du diplôme

Si on supprimait non pas l'enseignement mais les diplômes, les élèves, les étudiants sauraient qu'ils apprennent pour leur bien, pour enrichir leur personnalité, pour mieux se préparer à leur vie professionnelle, afin que leur vie d'adulte soit meilleure et non pour obtenir un droit à des privilèges. Tout l'état d'esprit des études serait changé et les élèves, les étudiants seraient plus exigeants sur l'utilité de ce qu'on leur enseigne. Ils sauraient que les seuls juges de leur valeur seraient leurs futurs employeurs et non des professeurs lors d'un examen ou d'un concours. Ils seront jugés sur ce qu'ils font et non sur leurs titres.
Le diplôme a un effet pervers non seulement quand il permet d'accéder à la Fonction publique mais également dans les grandes entreprises où il existe une solidarité entre ceux qui sortent de la même grande école.
Conclusion. Dans un pays qui se flatte d'être à la pointe du progrès social et dont les enseignants répètent inlassablement aux enfants qu'en 1789 la Révolution a aboli définitivement les privilèges, il serait temps de faire une remise à plat des conditions de travail de tous les citoyens.
Le monde bouge, les conditions de travail changent du tout au tout pour un même emploi. Quel rapport entre conduire une locomotive à vapeur par tous les temps et une motrice électrique automatisée où le conducteur est confortablement assis dans une cabine climatisée ? Accorder le même âge de retraite aux deux sous prétexte de maintien des droits acquis n'est pas normal. Accepter qu'un couvreur qui passe sa vie professionnelle sur les toits dans une position inconfortable, pénible, dangereuse par tous les temps prenne sa retraite à 60 ans, alors qu'un conducteur de trains ou un chef de gare la prend à 55 ans est une intolérable injustice sociale.

Revenir à l'enseignement d'autrefois

Les hommes politiques qui ne feraient rien pour obtenir le réexamen des privilèges appelés droits acquis ne pourraient plus prétendre défendre les "Droits de l'homme".
Enfin dans l'enseignement il faudrait revenir aux anciens principes. Autrefois un philosophe expliquait ses idées à ses disciples mais ne leur donnait aucun diplôme. Un grand peintre avait ses élèves mais ne leur donnait aucun diplôme. Un menuisier avait ses apprentis mais ne leur donnait aucun diplôme.
Apprendre pour être plus fort et non pour obtenir un titre qui flatte la vanité et procure des droits particuliers.
 

Maxime Laguerre

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